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Pourquoi la loi ELAN souhaite-t-elle se dispenser des architectes ?

droit de l'urbanisme

Alexandre Chevallier

23 juin 2019

7 minutes

La fameuse loi portant “évolution du logement, de l’aménagement et du numérique” (ELAN) sera promulguée dans les prochains jours.

Si l’on en croit le Conseil des ministres du 4 avril 2018, ce projet de loi tend à répondre “au constat partagé selon lequel construire du logement est un processus long et complexe” et souhaite “construire plus, mieux et moins cher”.

Processus qui sera facilité par la dispense du concours de l’architecte pour les bailleurs sociaux, le démantèlement de la loi de 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique (MOP), sans oublier l’adaptation de l’avis des architectes des bâtiments de France en matière d’antennes-relai ou de lutte contre l’habitat indigne ? Rien n’est moins sûr…

Analyse juridique du projet de loi définitif au regard de son impact sur la profession d’architecte.

I. Les bailleurs sociaux et CROUS n’ont plus l’obligation d’assurer un concours d’architecture de mise en concurrence pour construire leurs bâtiments

La modification de la loi sur l’architecture supprime l’obligation de mise en concurrence par le concours d’architecture pour les bailleurs sociaux, les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux (SEM) et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS).

Cette obligation supprimée, il paraît en résulter une nouvelle procédure de droit commun : le marché de conception-réalisation.

1. La modification de la loi sur l’architecture

L’article 88-VII de la loi Elan résultant du texte adopté par le Conseil Constitutionnel le 15 novembre 2018 prévoit finalement une modification de la loi 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture, plus précisément de son article 5-1.

Ce futur article 5-1 sera donc rédigé et modifié comme ceci :

“Les maîtres d'ouvrage publics et privés, à l’exception des organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés à l’article L. 411‑2 du code de la construction et de l’habitation, des sociétés d’économie mixte mentionnées à l’article L. 481‑1 du même code pour leur activité agréée ainsi que des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires définis à l’article L. 822‑3 du code de l’éducation, favorisent, pour la passation des marchés de maîtrise d'œuvre ayant pour objet la réalisation d'un ouvrage de bâtiment, l'organisation de concours d'architecture, procédure de mise en concurrence qui participe à la création, à la qualité et à l'innovation architecturales et à l'insertion harmonieuse des constructions dans leur milieu environnant. (...) “.

En dépit d’une volonté globale des communes de France d’assurer une qualité architecturale certaines à leurs constructions et leur urbanisme, les bailleurs sociaux et les CROUS, quant à eux, n'auront plus la nécessité d'organisation de *concours d'architecture pour favoriser la passation des marchés de maîtrise d’oeuvre ayant pour objet la réalisation d’un ouvrage de bâtiment.

Les détracteurs de cette procédure la juge trop longue (généralement entre 4 et 9 mois) et trop coûteuse. Mise en perspective avec la durée de vie de l’opération de construction globale, avoisinant en moyenne les soixantes années, le délai nécessaire à une mise en concurrence par le concours d’architecte semble plutôt un détail qu’autre chose.

Bien évidemment, il existe un pendant à cet état des conséquences. En effet, le concours d’architecte pour les bailleurs sociaux et les CROUS est remplacé implicitement par une nouvelle procédure de droit commun, celle du marché de conception-réalisation.

2. La procédure de conception-réalisation devient la procédure de droit commun pour les bailleurs sociaux et les CROUS

Pour mémoire, la conception-réalisation est un marché permettant d’associer les entreprises à la conception de l’ouvrage. Il constitue donc une exception à l’organisation tripartite : maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprises.

L’article 33-II de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics sera modifié par l’article 69-I du projet de loi ELAN et de la manière suivante :

" II. – Les conditions mentionnées au second alinéa du I ne sont pas applicables aux marchés publics de conception-réalisation relatifs à la réalisation de logements locatifs aidés par l’État financés avec le concours des aides publiques mentionnées au 1° de l’article L. 301‑2 du code de la construction et de l’habitation, lorsqu’ils sont conclus par les organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés à l’article L. 411‑2 du même code et les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux, soumis aux dispositions de la loi n° 85‑704 du 12 juillet 1985 précitée, ainsi que, jusqu’au 31 décembre 2021, par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires définis à l’article L. 822‑3 du code de l’éducation.

Cette article futur disposera que les bailleurs sociaux et les CROUS (quant à eux, jusqu’au 31 décembre 2021), pourront opter pour le marché de conception-réalisation afin de réaliser leurs projets de construction, posant de véritables questions que nous verrons en fin de cet article.

La loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture n’est pas la seule touchée, la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée est également modifiée par le texte définitif du projet de loi ELAN.

II. La partie maîtrise d’oeuvre de la loi MOP, elle aussi impactée par la loi ELAN

En effet, la loi MOP est également modifiée par les dispositions de la loi ELAN d’au moins deux façons différentes concernant les architectes :

  • la première, les bailleurs sociaux précités sont soustraits des obligations résultants du titre II portant sur la maîtrise d’oeuvre et surtout sur sa mission de base,
  • la seconde est la généralisation du recours au marché de conception-réalisation pour les bâtiments neufs dépassant la réglementation thermique en vigueur.

1. La mission de base de l’architecte n’est plus obligatoire pour les bailleurs sociaux

Tout d’abord, l’article premier de la loi MOP va être modifié de la façon suivante :

*“Les dispositions de la présente loi sont applicables à la réalisation de tous ouvrages de bâtiment ou d'infrastructure ainsi qu'aux équipements industriels destinés à leur exploitation dont les maîtres d'ouvrage sont:

1° L'Etat et ses établissements publics ;

2° Les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les offices publics de l’habitat mentionnés à l’article L. 411‑2 du code de la construction et de l’habitation pour les logements à usage locatifs aidés par l’État et réalisés par ces organismes et à l’exception du titre II de la présente loi, les établissements publics, d'aménagement de ville nouvelle créés en application de l'article L. 321-1 du code de l'urbanisme, leurs groupements ainsi que les syndicats mixtes visés à l'article L. 166-1 du code des communes ;

3° Les organismes privés mentionnés à l'article L. 124-4 du code de la sécurité sociale, ainsi que leurs unions ou fédérations ;

4° Les organismes privés d'habitations à loyer modéré, mentionnés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les sociétés d'économie mixte, pour les logements à usage locatifs aidés par l'Etat et réalisés par ces organismes et sociétés, à l’exception du titre II de la présente loi. (...)”*

Ainsi, les Les organismes d'habitations à loyer modéré (HLM) visés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l’habitation (CCH) et les SEM pour les logements à usage locatifs aidés par l'Etat et réalisés par ces organismes et sociétés, ne seront plus obligatoirement soumis au titre II de la loi MOP, lequel est relatif à la maîtrise d’oeuvre.

Voici l’extrait de l’article 7 de ce titre II définissant les missions de l’architecte et surtout, évoque sa mission de base en matière d’ouvrage de bâtiment :

*“La mission de maîtrise d'oeuvre que le maître de l'ouvrage peut confier à une personne de droit privé ou à un groupement de personnes de droit privé doit permettre d'apporter une réponse architecturale, technique et économique au programme mentionné à l'article 2.

(...)

Toutefois, pour les ouvrages de bâtiment, une mission de base fait l'objet d'un contrat unique. Le contenu de cette mission de base, fixé par catégories d'ouvrages conformément à l'article 10 ci-après, doit permettre : -au maître d'oeuvre, de réaliser la synthèse architecturale des objectifs et des contraintes du programme, et de s'assurer du respect, lors de l'exécution de l'ouvrage, des études qu'il a effectuées ; -au maître de l'ouvrage, de s'assurer de la qualité de l'ouvrage et du respect du programme et de procéder à la consultation des entrepreneurs, notamment par lots séparés, et à la désignation du titulaire du contrat de travaux.”*

Cette mission de base, définie par le décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé, est constituée en matière d’opérations de construction neuve de bâtiment par :

“(...) les études d'esquisse, d'avant-projet, de projet, l'assistance apportée au maître de l'ouvrage pour la passation des contrats de travaux, la direction de l'exécution du contrat de travaux et l'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement. Font également partie de la mission de base l'examen de la conformité au projet des études d'exécution et leur visa lorsqu'elles ont été faites par un entrepreneur et les études d'exécution lorsqu'elles sont faites par le maître d'oeuvre. (...)”

L’on comprend clairement pourquoi la loi MOP est essentielle à la bonne construction d’un ouvrage de bâtiment : elle confie à l’architecte une mission de base couvrant l’ensemble du projet immobilier, de sa conception à l’extinction de la garantie de parfaite achèvement, (correspondant en principe, à l’année suivant la réception) en passant par le suivi d’exécution des travaux par les entreprises.

Cependant et bien que les bailleurs sociaux gardent leur qualification de maîtres d’ouvrages publics, ils n’auront plus d’obligation de respecter les règles de droit tenant aux missions de maîtrise d’œuvre du titre II précité. Cela exposant les différentes étapes du projet de construction à un morcellement certain, lesquelles seront divisées entre différentes entreprises en sus du maître d’œuvre.

Cette affirmation ne peut qu’être renforcée par la généralisation au sein de la loi MOP du marché de conception-réalisation.

2. La loi ELAN généralise le recours au marché de conception-réalisation

Nous revenons au marché de conception-réalisation étudié un peu plus haut, mais ici c’est la loi MOP qui est directement impactée par le projet de la loi ELAN.

Ce marché, encadrée par l’article 18 de la loi MOP, est désormais assoupli par l’article 69-I du projet de loi ELAN définitif.

En effet, la première phrase du I de l’article 18 de la loi n° 85‑704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée sera modifiée comme suit :

“I-Nonobstant les dispositions du titre II de la présente loi, le maître de l'ouvrage peut confier par contrat à un groupement de personnes de droit privé ou, pour les seuls ouvrages d'infrastructure, à une personne de droit privé, une mission portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux, lorsque des motifs d'ordre technique ou d'engagement contractuel sur un niveau d'amélioration de l'efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa en modifiant, en tant que de besoin, pour les personnes publiques régies par le code des marchés publics, les dispositions de ce code.”

Désormais, le seul fait qu’un bâtiment neuf dépasse la réglementation thermique en vigueur permettra au maître de l’ouvrage public de recourir au marché de conception-réalisation.

La difficulté pour l’architecte réside ici dans le fait de perdre une partie de son indépendance en devenant co-contractant d’une entreprise, à plus forte raison lorsque cette entreprise est l’un des géants de la construction mondiale. Une généralisation de cette pratique pouvant à terme porter défaut au paysage urbanistique et architectural français.

Conclusion

Mais alors, pourquoi la loi ELAN souhaite-t-elle se dispenser des architectes ?

Nous l’avons vu, la loi ELAN modifie significativement les lois applicables aux architectes, particulièrement la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977 et la loi MOP du 12 juillet 1985.

Le projet définitif de la loi ELAN justifie les ajouts ou suppressions au droit en vigueur par un slogan ayant guidé sa rédaction “construire plus, mieux et moins cher”. Il reste tout de même difficile à croire que l’exemption du concours d’architecte pour les bailleurs-sociaux ou la consécration du marché de conception-réalisation aideront à construire mieux. On peut se rendre compte que la loi ELAN ne parle pas véritablement de qualité en s'intéressant davantage à la quantité.

Pour finir, nous pouvons retenir les points essentiels de cet article :

  • les bailleurs sociaux et les CROUS n’ont plus l’obligation de mise en oeuvre du concours d’architecture,
  • les bailleurs sociaux et les CROUS bénéficient en quelque sorte d’une nouvelle procédure de droit commun, Ie marché de conception-réalisation ,
  • la loi MOP n’oblige plus les bailleurs sociaux à conclure un contrat unique de mission de base avec le maître d’oeuvre,
  • la loi MOP est modifiée de telle façon qu’il est désormais possible au maître de l’ouvrage public de recourir au marché de conception-réalisation pour tous les ouvrages de bâtiment neufs dépassant la réglementation thermique en vigueur,

Ces modifications portant en majorité sur la relation architectes et bailleurs sociaux ou sur le marché de conception-réalisation, ne sont pas les seules à noter puisque les pouvoirs de l’architecte des bâtiments de France en matière d’antennes-relai ou de lutte contre l’habitat indigne sont eux aussi réformés.

Question qui fera l’objet d’un nouveau billet de blog très prochainement.

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A propos de Maître Alexandre Chevallier

Avocat et fondateur d'Equitéo avocat, Alexandre Chevallier est animé par une vision innovante et entrepreneuriale du droit. Il est convaincu de la nécessaire démocratisation de l’accès à l’avocat. A l'écoute, il assiste et représente ses clients dans les domaines du droit de l'urbanisme tant au niveau du conseil que du contentieux.

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